1 - LA TYRANNIE DU SENS



1 - LA TYRANNIE DU SENS

Avant d’écrire une histoire, il faut connaître le SENS de cette histoire.

Sens (nom masculin — latin sensus) : signification.


Certains vous diront que le sens est intrinsèque à l’histoire. D'autres vous diront que pour les messages, il y a la poste. Moi, je vous dirais seulement qu'en matière de scénario (et c'est aussi valable pour d’autres types de narration), il n'y a rien sans le sens car tout dépend de lui… Le choix de l'histoire, la structure, les personnages, la psychologie, les histoires secondaires, les charnières dramatiques, les objectifs, les sous-objectifs, la scène centrale, les lieux, les décors, les costumes, le casting, le choix du support de filmage, la lumière, la musique, le montage, le traitement des images : le sens détermine tous les choix dans le processus de création d'un film.

Tout ce qui le compose, jusqu'aux plus petits détails, aura été pensé pour totalement l'exprimer.

Il est donc impératif de savoir ce que vous voulez dire avant de commencer à écrire une histoire, même si elle est tirée d'un fait réel. C'est incontournable. C'est long, fastidieux, mais tellement important. Tout se passe tellement mieux après.

Action !

Une bonne façon de procéder est de raconter son histoire en deux phrases, qui répondent à deux questions : Quoi et Pourquoi.

Quoi ? exprime l'action du film, la dramaturgie. Ce qui se passe ;
Pourquoi ? exprime la psychologie de l'action, la thématique du film.

Pour exemple, le plus simple possible :

Je sors fumer (action).
Pourquoi ? (le sens de l'action). Parce que… je suis en manque, j'ai un rendez-vous avec le soleil, c'est le seul moment où je peux voir les jambes de la secrétaire asiatique, je n'aime pas fumer à l’intérieur, on vient de m'apprendre que j'ai le cancer du fumeur, j'ai toujours soif, parce que c'est là que j'élabore l'assassinat de ma femme…

Autant de possibilités pour une même action d’avoir des sens différents. Autant de possibilités de raconter une histoire.

Pour appréhender toute l'action d'un film, qui comme on le sait, doit être aussi une seule action, un seul mouvement (voir le cours vidéo Comment écrire un scénario sans peine avec la tâche), le travail est le même.

Vous voulez raconter l'histoire de quelqu'un qui va tout sacrifier par amour. L'histoire de quelqu'un qui risque tout pour la gloire. L'histoire de quelqu'un qui décide de braquer une banque. L'histoire de quelqu'un dont la quête de pouvoir le détruit, L'histoire de quelqu'un qui devient tueur en série. L'histoire de quelqu'un qui doit trahir son père. Vous devez trouver un sens à cette action qui sera constituée elle aussi d’une multitude d’actions et de sens.

Pourquoi une chose est-elle faite ?


La réponse se trouve naturellement du côté de celui qui l’exécute. Tout nous ramène donc à la psychologie du personnage. Pourquoi agit-il ainsi ? Qu'est-ce que ça signifie pour lui ? Qu'est-ce qui se joue en lui ? Pourquoi cette transformation ? Voilà les réponses fondamentales auxquelles il faut répondre.

Nous verrons plus tard que c’est à ce niveau que l’émotion d’une histoire se joue. La psychologie du personnage principal confrontée à celle des personnages secondaires, dans une situation conflictuelle (l’action), sera la source principale de l’émotion de votre histoire.

C’est le choc des enjeux humains qui crée l’émotion d’une histoire.

Les enjeux émotionnels des hommes et des femmes : l’amour, l’affectif, sous toutes ses formes, tant positives que négatives.


Le sens d’une histoire est toujours lié à cette relation à l’amour : filiale, passionnelle, amicale, charnelle, haineuse, sexuelle, paternelle, fusionnelle, fraternelle, compassionnelle, spirituelle, maternelle, incestueuse, fratricide, psychotique… et à la relation que le personnage principal entretient et a entretenu avec elle : l’amour de soi.


Il est plus facile de partir d’une maladie pour en exprimer les symptômes, comme il est plus facile de partir du SENS d'une histoire pour en exprimer l'action.

On a vu qu'une même action peut prendre des significations différentes selon le sens qu'on lui donne. Ce sens transformant naturellement l’orientation de l'action. De la plus simple : je sors fumer, à la plus complexe : je fais le casse du siècle. L'action est donc toujours le symptôme d’une signification.

Un homme tousse.
Tousser peut être le symptôme de sa grippe, de son tic, d'un signal convenu avec des complices, de son « avalement » de travers, de son artifice pour se faire remarquer…

Derrière le symptôme (l’action), il y a toujours un sens, et il doit être présent dans toutes les actions du film.

« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais ce que 

je ne veux pas. »

Mieux vaut partir d'un cliché que d'y arriver, disait Hitchcock.

Il faut travailler par élimination. Repenser toute son histoire avec chaque nouvelle proposition, changer de personnage principal, raconter l’histoire à l'envers pour nous obliger à avoir une fin — le sens d’une histoire se révélant toujours à la fin.

Choisir ce qui a le plus de résonance en nous, éliminer ce qui n’en a pas.

Surtout ne pas être pressé. Laisser les idées venir et les noter. Ne rien s'interdire. Lâcher prise. Attendre de trouver la formule qui s'imposera comme une évidence.

À force de travail, elle finira immanquablement par venir.

La recherche de sens est une remise en cause permanente et salvatrice. Elle permet de bousculer les fondements de l'histoire que l'on veut raconter. Elle permet de voir clairement ce que l'on veut dire. C'est une épreuve avec nous-même car c'est nous qu'elle bouscule. Elle nous oblige à sortir de nos retranchements, à fouiller les tiroirs qu'on aimerait laisser fermés, là où nous nous cachons encore.

Car c'est en nous que sont les réponses. Dans notre vécu, nos peurs, nos traumatismes. C'est là qu'il faut puiser, à la source, là où il y a forcément du sens.

Même si cette recherche peut paraître jusqu'au-boutiste, la seule chose que l'on risque c'est de découvrir que l'on n’a rien à dire. Si heureusement ce n’est pas le cas, elle permet de mieux travailler, de ne pas s'enliser, de mieux concevoir, d'aller plus loin, d'être plus original, plus profond, plus créatif et surtout plus personnel.

« Ma pièce est faite, je n'ai plus qu'à l'écrire !» disait Boileau. Voilà où il faut en venir : n'avoir plus qu'à écrire son histoire.

Mais cela ne peut se faire avant d’en avoir trouvé le sens et d’en être intimement convaincu.

Cela ne peut se faire avant d’avoir repensé toute son histoire et les éléments qui la composent sous la direction de ce sens.

Tous les articles que je vous proposerai au fil des prochains mois traiteront d'un ensemble de questions scénaristiques autour de cette approche. En attendant, n'hésitez-pas à me poser vos questions dans les commentaires.


Marc-Olivier Louveau

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire